En résonance avec les ruines de l’Abbaye de Jumièges, cette exposition collective réunit onze artistes de la scène contemporaine tunisienne qui explorent l’image sous toutes ses formes, autour des thèmes de l’histoire et de la mémoire.
Le titre de l’exposition est un proverbe en tounsi (dialecte tunisien) dont l’équivalent français serait « Goutte après goutte, l’eau finit par creuser la pierre ». Il fait référence à la somme de petits événements qui, perpétués dans le temps, peuvent créer des effets considérables.
Bien que les œuvres réunies parcourent divers lieux et époques, de Carthage à la colonisation, de la révolution de 2011 aux migrations contemporaines, cette exposition ne vise pas l’exhaustivité ni un portrait détaillé de la scène photographique tunisienne. Elle propose plutôt un dialogue entre artistes de différentes générations explorant un passé oublié à travers archives, traces, rituels, vestiges et lieux abandonnés.
L’encre d’une image imprimée sur du papier journal marquant les mains qui la froissent, des objets échoués sur le rivage de Zarzis après la traversée de migrants clandestins, des costumes hérités témoignant de rituels ancestraux, des silhouettes d’ancêtres presque effacées sur des plaques de verre au gélatino-bromure retrouvées dans un grenier… En explorant les vies ordinaires et les micro-histoires, les artistes révèlent ce que Michel Foucault appelait « l’en deçà de l’histoire » : tout ce qui échappe aux récits officiels centrés sur les grands événements et les figures dominantes.
Dans ce dialogue avec le passé, les artistes ne se contentent pas d’illustrer, ils manipulent et transforment l’image. Cyanotypes, plaques de verre au gélatino-bromure, films 16 mm ou clichés numériques sont hybridés avec d’autres médiums (performance, installation, sculpture, vidéo, dessin) ou des techniques artisanales (broderie, mosaïque, peinture sous verre). Froisser, superposer, coudre ou projeter l’image devient un moyen d’explorer son lien à la matière et de révéler ses multiples dimensions sensorielles.

Au-delà du médium, ces démarches visent aussi à déconstruire les imaginaires hérités. Elles contestent les stéréotypes liés à la colonisation, l’impact humain sur la nature, la domination patriarcale et l’exclusion des minorités. Elles redonnent une place aux traditions féminines, aux migrants et aux luttes politiques et sociales, tout en interrogeant les transformations de l’image à l’ère du numérique. Alors que la photographie oscille entre outil d’émancipation et instrument de domination, les artistes réunis ici détournent son usage : ils se réapproprient des procédés anciens, rompent avec la reproductibilité ou s’affranchissent même de l’appareil photographique. Ils questionnent la croyance en la vérité des images et leur instrumentalisation, à une époque où celles-ci sont omniprésentes et souvent manipulées.
En interrogeant les représentations qui façonnent la mémoire collective, ces artistes déconstruisent le photographique pour susciter le doute et révéler des réalités multiples et en mouvement. Leur démarche quasi-archéologique montre que rien n’est figé, mais en constante transformation. À l’image de Carthage selon Édouard Glissant, où les identités se sont construites par le métissage – ou plutôt la « créolisation » – ils opposent à la fragmentation du monde la richesse des interactions entre formes et cultures, affirmant une identité fluide et mouvante.

Rafram Chaddad, «The Fish Smuggler», 2018. Tirage photographique sur radiographie, boîtier lumineux, 36 x 45 cm. Courtesy de l’artiste.

Gauche : Amira Lamti, « Sunlit Affirmation », série Bent el Machta, 2024. Impression numérique sur papier mat, 42 x 32 cm. Courtesy de l’artiste. Droite : Amira Lamti, « Family Love », série Bent el Machta, 2024. Impression numérique…

Asma Ben Aissa, « Intimité brodée » (détail), 2024. Broderie sur photographies imprimées sur papier coton, 15 x 22 cm. Courtesy de l’artiste.

Film à blanc (Blank film), 2013. Vidéo HD, 4/3, couleur, muet. Durées variables. © ADAGP, 2025.

Younes Ben Slimane, « We knew how beautiful they were, these islands » video still © ADAGP, 2022

Chiraz Chouchane, « Codex 19-20 », 2020-2022. Collage et photographies sur papier, dimensions variables. Courtesy de l’artiste.

Meriem Bouderbala, Psykedelik, 2010. Série photographique imprimée sur Diasec, 45 x 65 cm (chaque). Courtesy de l’artiste.

Héla Ammar, Tawasol, 2021-2022. Photographie numérique imprimée sur diasec, 50 x 50 cm. Courtesy de l’artiste.

Rafram Chaddad, «The Fish Smuggler», 2018. Tirage photographique sur radiographie, boîtier lumineux, 36 x 45 cm. Courtesy de l’artiste.

Gauche : Amira Lamti, « Sunlit Affirmation », série Bent el Machta, 2024. Impression numérique sur papier mat, 42 x 32 cm. Courtesy de l’artiste. Droite : Amira Lamti, « Family Love », série Bent el Machta, 2024. Impression numérique sur papier mat, 108 x 70 cm. Courtesy de l’artiste.

Asma Ben Aissa, « Intimité brodée » (détail), 2024. Broderie sur photographies imprimées sur papier coton, 15 x 22 cm. Courtesy de l’artiste.

Film à blanc (Blank film), 2013. Vidéo HD, 4/3, couleur, muet. Durées variables. © ADAGP, 2025.

Younes Ben Slimane, « We knew how beautiful they were, these islands » video still © ADAGP, 2022

Chiraz Chouchane, « Codex 19-20 », 2020-2022. Collage et photographies sur papier, dimensions variables. Courtesy de l’artiste.

Meriem Bouderbala, Psykedelik, 2010. Série photographique imprimée sur Diasec, 45 x 65 cm (chaque). Courtesy de l’artiste.

Héla Ammar, Tawasol, 2021-2022. Photographie numérique imprimée sur diasec, 50 x 50 cm. Courtesy de l’artiste.
Événements associés
Performance
Wled el Machta | Les enfants de la Machta
En lien avec ses œuvres présentées dans l’exposition autour de la symbolique et des gestes de la machta (femme qui prépare la mariée au rite nuptial traditionnel dans la région du Sahel), la plasticienne Amira Lamti et le danseur et chorégraphe Rochdi Belgasmi créent une performance mêlant danse et poésie autour des représentations de genre et la transmission d’un imaginaire collectif dans la danse populaire tunisienne.
En partenariat avec le festival littéraire Terres de Paroles (Normandie), l’Institut français de Tunisie et La Villette (Paris).
Vendredi 16 mai et samedi 17 mai | 20h00-20h30
Gratuit sur réservation | Billetterie du festival Terres de Paroles
Abbaye de Jumièges | Extérieur

Soirée de lancement du catalogue
au Book Bar de l’hôtel Grand Amour (Paris)
Soirée de lancement du catalogue, co-organisée par la commissaire d’exposition Victoria Jonathan et l’éditeur Moez Akkari au lendemain de l’Ass Book Fair au Palais de Tokyo : signature et table ronde en présence de plusieurs des artistes de l’exposition, dîner concocté par le chef Elyes Lariani, et DJ set.
Catalogue: Ouvrage bilingue français-anglais à paraître en mai 2025. En collaboration avec Bao Books, éditeur et studio de design éditorial tunisien.
Mercredi 21 mai | 18h-2h
Entrée libre sur réservation
Dîner sur réservation | 01 44 16 03 30
Book Bar de l’hôtel Grand Amour | 18 rue de la Fidélité 75010 PARIS

Focus à la foire d’art moderne et contemporain Menart Fair (Paris)
Depuis 2021, Menart Fair a pour vocation de mettre en lumière les artistes du Levant, du Golfe Arabo-Persique et d’Afrique du Nord à travers une sélection de galeries de premier plan.
Pour sa 6e édition, Menart Fair rejoindra les foires satellites d’Art Basel Paris. Dans sa Project Room, la foire mettra à l’honneur la scène artistique tunisienne avec une sélection d’œuvres des artistes de l’exposition « Le temps creuse même le marbre » (commissariat : Victoria Jonathan) à l’Abbaye de Jumièges.
25-27 octobre 2025 (VIP le 24 octobre)
Entrée payante (billet couplé avec la foire AKAA)
Plus d’informations
Menart Fair | 116 rue Turenne 75003 PARIS
